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L’exposition inaugurale de la galerie Gaggarin rassemble trois artistes aux pratiques fort différentes les unes des autres autour d’une thématique commune : In and Out of This World. Le titre évoque le voyage, le déplacement, le passage d’un univers à un autre, comme un clin d’œil au pionnier de la conquête spatiale qui a donné son nom à ce nouveau lieu. Il ouvre également sur la notion d’ubiquité : peut-on à la fois être dans et à l’extérieur de ce monde ? C’est en tous cas ce que nous sommes en droit d’attendre de l’art : ouvrir des portes pour nous laisser entrevoir d’autres perspectives, qu’elles soient d’ordre esthétique, critique ou politique.

Avec des moyens d’expression qui leurs sont propres, Elodie Antoine, Hedwig Brouckaert et Frederik Heyman ont en commun de créer des œuvres qui sont, précisément, ancrées dans un ici et maintenant tout en revendiquant la nécessité d’ouvrir sur un ailleurs. Chez Elodie Antoine, cette ouverture passe par l’illusion. Ses Eclaboussures ont comme point de départ l’observation du phénomène le plus naturel, terrestre, qui soit : le développement de taches de moisissure sur les murs de constructions anciennes. L’installation qu’elle en tire imite le phénomène de prolifération de ces champs bactériens, mais les formes (du tissu tendu sur de la mousse) sont ici dorées – une préciosité qui contraste avec la notion de décomposition généralement associée aux champignons. Quant à sa vidéo (réalisée avec Karine Marenne), elle présente l’artiste reproduisant le geste du boucher (dramatisé par une bande-son anxiogène) mais, là encore, tout n’est qu’illusion : c’est un feutre qui passe sous la lame, révélant des entrailles textiles d’apparence organique.

Hedwig Brouckaert tire son inspiration des pages publicitaires de magazines et de catalogues de vente par correspondance : une iconographie ancrée dans la banalité, et la fugacité, de la société de consommation. Son propos consiste, via une technique très particulière de transfert sur papier carbone, à dissoudre les caractéristiques individuelles des personnages jusqu’à les transformer en masse informe. « Ce qui m’intéresse, c’est la tension entre un point de départ hautement lisible et identifiable – des publicités, qui doivent transmettre un message aussi clairement que possible – et le résultat abstrait, illisible, qui résulte du processus de superposition », déclare l’artiste.

Photographe de mode, Frederik Heyman est régulièrement confronté à ce paradoxe qui consiste à fournir l’image d’un vêtement porté par un mannequin, tout en étant encouragé à donner libre cours à son inspiration en termes de mise en scène, au risque de faire passer son sujet au second plan. Par principe, pourrait-on dire, la photographie de mode est in and out of this world, le désir d’acquérir le vêtement étant conditionné par l’imaginaire que le photographe parvient à créer autour de l’objet. Les dessins de Frederik Heyman qui mêlent, sur un ton ironique et décalé, des références au monde de la publicité et de la mode à des éléments visuels perturbateurs – membres coupés et distordus, sang, formes organiques –, participent pleinement de cette démarche.


P.-y. Desaive

[IN AND] OUT OF THIS WORLD
by P.-y. Desaive
2011

Essay for group show [IN AND] OUT OF THIS WORLD
with Elodie Antoine, Frederik Heyman and Hedwig Brouckaert
September 2011
Gaggarin Gallery Brussels